Il était une fois et une fois il n’était pas… MORPHEE.
Elle était née sans oreilles, Morphée. Et c’était mystérieux. Les deux grands trous noirs qui ornaient sa tête fine semblaient vous inviter à plonger dans l’infini, sans retour possible.
Elle était née avec les yeux du ciel, Morphée. Et c’était délicieux. Elle vous harponnait du regard et vous étiez conquis. Fait comme un rat.
Elle était bien nommée, Morphée. L’enchantement de son regard sans ouïe, réunissait mort et fée en une danse singulière qui faisait tout son charme.
Elle avait le choix du prince, Morphée. Et celui de tous les dangers…
Elle attira d’abord pour ses beaux yeux. Et ce fut sa chance. Dieu qu’elle était craquante avec l’éternité dans le regard ! On lui sourit beaucoup et elle mit tout son cœur à rendre la pareille. Elle faisait miroiter tous les possibles dans l’azur d’une œillade et reçut beaucoup de caresses pour atteindre ses nuées.
Mais un jour, quelqu’un s’aventura vers l’inaudible et tomba dans un de ses trous noirs. Le destin de Morphée bascula. Personne n’y avait prêté attention auparavant. Mais une fois trouvée, l’affaire fut d’importance : comment bien s’entendre en faisant la sourde oreille ? Les voies/x du ciel sont impénétrables et les relations de Morphée prirent un tour bien singulier…
Elle croisa une multitude de gens inquiets de l’avenir. Munis de pics et de pioches, des « Sachant » vinrent ausculter ses trous noirs et y faire des prélèvements. D’autres, s’armèrent de grandes cordes pour narguer l’inconnu et plantèrent des graines d’Ouïe, espérant la repousse. La culture intensive ne révéla que des Non. Le terrain fut classé infertile.
Morphée devint alors un objet de malaise pour une science déniaisée. Un rebut qu’il fallait excuser du sceau du destin. Elle, qui s’était crue aimable dans un récent chapitre, se lu brutalement disgracieuse dans les yeux du monde.
Elle chercha à fuir cette honte et décida de cacher son mystère. Espérant faire diversion, elle cueillit des choux fleurs et les déposa dans son vide. Mais on la prit pour une casserole ! Elle songea alors à des marguerites. Mais on la prit pour un vase ! Elle opta pour la discrétion et se mit des crochets. Mais on lui attacha un tableau et elle devint un musée!!!
A chaque fois qu’elle comblait l’absence, on lui donnait une nouvelle fonction. Elle devint tour à tour: porte-manteau, panetière, bougeoir, poubelle, boite à bijou… Ainsi, elle fit le tour du monde de l’illusion et personne ne semblait voir le subterfuge.
Morphée n’en croyait pas ses oreilles ! Les gens décidément étaient bien étranges. Ils lui reprochaient ses trous noirs sans voir qu’ils avaient le même héritage… dans les yeux !
Elle comprit alors que cet aveuglement était sa chance. Quand elle rencontrait un chat, elle tapissait son désert de pâté et il ronronnait de plaisir ! Quand un professeur venait la visiter, elle y déposait des livres et il la trouvait passionnante ! Un musicien voulait la voir ? Elle choisissait des partitions et … en avant la musique !
On la crut polyglotte car elle semblait échanger avec le monde entier. Mais c’était une erreur. Si on lui avait prêté une oreille attentive, on aurait découvert, derrière la brillante communicante, une petite fée morte de trouille. Morphée ne faisait que prévenir le désir de ses visiteurs pour éviter l’isolement. Elle avait inventé ce stratagème pour ne pas finir au rebut. Comme une boule à facette, elle réverbérait les visages du monde, sans jamais montrer le sien.
Mais il n’y a pas pire sourd que celui qui ne veut pas entendre et le miroir aux alouettes est d’un éclat incomparable face au désert du non-dit. Le monde fit donc la sourde oreille et le temps s’ égraina en jeux de dupes. Devenue reine de l’appât-rance, Morphée s’épuisait en adaptation constante. Elle aurait préféré crever que d’être classée inapte par la science.
Une fois loin des regards, elle adorait enlever ses prothèses pour écouter le silence. C’était son moment à ELLE. La vie lui semblait alors, comme arrêtée/« art et thé » dans un couffin de douceur. Ses yeux se fermaient pour reposer en paix et Morphée s’échappait dans l’ailleurs d’une suspension hors temps…
Un jour, elle osa se mettre en veille en présence de ses invités. Comme une somnambule, elle continua ses tours de passe passe les yeux grands ouverts et ses visiteurs n’y virent que du feu ! Ainsi, la bien nommée Morphée ré-unit la mort et la fée, dans l’espace du Rêve Eveillé. Et sans s’en apercevoir, le monde entier prit l’habitude de se détendre dans les Bras de Morphée.
C’est lors d’une de ses pauses que Morphée rencontra son jardinier. Il lui offrit un poème fleuri d’amour qui lui ravit le cœur. C’était la première fois qu’on lui faisait un cadeau et elle ne sut que faire d’une si troublante attention. Où allait elle planter ces graines de tendresse? Morphée décida de les semer au fond de son vide pour lancer une invitation au hasard…
Lorsque nuitamment, le jardinier revint la voir et lui déversa des ondes de douceurs qu’elle laissa s’écouler dans ses terres arides…
Un jour, Morphée sentit la mélodie du bonheur s’élever de son désert. A force de soin et de patience, son jardinier avait transformé ses deux entonnoirs vides en gramophones ! Ils vibraient à présent d’un bouquet enchanteur !
Elle su alors que son mal entendu était le fruit d’une mauvaise langue : lorsqu’on goûte la voie/x de l’amour, on s’entend avec le monde entier.
Morphée s’était oubliée à elle m’aime/même et il lui avait donné de ses nouvelles ! Son jardinier lui avait fait don du plus beau des cadeaux, celui de se connaître par (le) cœur. Éperdue de reconnaissance, elle embrassa son Coeur Battant.
Ils vécurent heureux, s’aimèrent et eurent beaucoup d’enfants.
A bon entendeur !
Nathalie CASTILLAN le 17 avril 2023